Addiction au poker : Pourquoi ce jeu est si captivant ?

Décryptage Quels sont les facteurs qui rendent le poker si captivant et difficile à contrôler ? Comment le poker moderne facilite la naissance du jeu pathologique ? Un challenge de plus pour toutes une génération face à des opérateurs qui travaillent activement pour rendre leurs offres irrésistibles. 

Par Thibault R , publié le jeudi 11 juillet 2024 à 20h00

Quels sont les critères de l’addiction ou encore du jeu pathologique ? Selon la classification DSM V publié en 2022 au sujet des jeux d’argent, voici les critères d’évaluation pour identifier le jeu pathologique chez un sujet.

  1.  Besoin de jouer avec des sommes d’argent croissantes pour obtenir l’état d’excitation désiré.
  2. Agitation ou irritabilité lors des tentatives de réduction ou d’arrêt de la pratique du jeu.
  3. Efforts répétés mais infructueux pour contrôler, réduire ou arrêter la pratique du jeu.
  4. Préoccupation par le jeu (remémoration d’expériences de jeu passées ou par la prévision de tentatives prochaines ou par des moyens de se procurer de l’argent pour jouer). 
  5. Joue souvent lors des sentiments de souffrance/mal être (par exemple sentiments d’impuissance, de culpabilité, d’anxiété, de dépression) ;
  6. Après avoir perdu de l’argent au jeu, retourne souvent jouer un autre jour pour recouvrer ses pertes (pour « se refaire »). 
  7. Ment pour dissimuler l’ampleur réelle de ses habitudes de jeu.
  8. Met en danger ou a perdu une relation affective importante, un emploi ou des possibilités d’étude ou de carrière à cause du jeu.

Sur la base de ces critères, voyons comment le poker en lui-même facilite, renforce le jeu problématique. Et regardons également, comment les évolutions du poker au cours de la dernière décennie ont facilité les comportements addictifs.

1 - Une accessibilité 24/7 : jouer à toute heure

L’avénement d’internet couplé à la régulation des jeux en ligne a permis aux entreprises privées de redéfinir les standards du poker traditionnel. En France, c’est en 2010 que le marché s’ouvre à la concurrence et voit apparaître une multitude d’opérateur proposant du poker en ligne.

Avec l’essor du poker en ligne, les joueurs peuvent désormais accéder aux tables de jeu à toute heure du jour ou de la nuit. Cette disponibilité constante permet aux passionnés de poker de jouer quand ils le souhaitent, sans restrictions de temps depuis le confort de leur chambre. Les plateformes en ligne offrent une flexibilité inégalée, répondant aux besoins des joueurs de différents fuseaux horaires et modes de vie. De plus, la possibilité de jouer à tout moment et pour de très faible somme moins d’1 € encourage une plus grande participation et fidélisation des joueurs. Que ce soit pour une partie rapide ou un long tournoi, l’accès 24/7 permet aux joueurs de satisfaire instantanément leur envie de jouer. Au délà, d’être disponible 7 jours sur 7, les opérateurs travaillent pour maintenir l’attention des joueurs via des email marketing, des bonus, des événements, etc.

Cette accessibilité permanente est un facteur clé de la popularité croissante du poker en ligne et des troubles qu’il l’accompagne. Le poker moderne permet aux joueurs de s’engager pleinement dans le jeu pour le mieux comme pour le pire.

 

2 - Glorification du statut de joueur pro

Historiquement, le jeu était considéré comme un péché en Occident, avec le catholicisme et le protestantisme le condamnant pour des raisons morales et économiques. Les gains issus du jeu étaient stigmatisés, posant une menace à l’ordre social et moral. Globalement, le jeu risquait de perturber la socialisation des individus en Occident. La banalisation des jeux d’argent est venue progressivement s’affranchir des raisons morale et éthique. Les opérateurs n’ont pas manqué cette opportunité pour susciter l’intérêt et cultiver imaginaire de toute une génération sur la possibilité de faire de gagner et de gagner  beaucoup grâce au jeu.  Voici 2 moyens utilisés par les opérateurs : 

1 – Les histoires de joueurs amateurs qui ont remporté des tournois majeurs et changé leur vie du jour au lendemain sont particulièrement inspirantesLa plus marquante reste celle de Chris Moneymarker, un comptable du tennesse de 27 ans qui se qualifie sur pokerstar pour 39 $ via un satellite, finit par remporter le plus prestigieux des tounois des WSOP en 2003 pour une somme 2,5 millions de dollars.  L’histoire de MoneyMarker a eu un effet retentissant sur le poker mondial. Il était l’homme idéal, un nom de famille incroyable pour tous les marketeurs, un parfait amateur qui rafle le pactole au nez et à barbe des joueurs professionnels. 

2 – La mise en scène de la vie des joueurs professionnels en banalisant l’activité pokeristique comme une profession comme une autre. Les opérateurs sponsorisent et utiliser leurs ambassadeurs afin de promouvoir la marque mais aussi le lifestyle associé. On a énormement de documentaires, de reportages sur les joueurs pro: comment ils préparent les tournois, comment ils jouent leurs mains. Un des reportages, les plus connus en France, c’est la fameuse série « Dans la tête d’un pro ». En lisant mes articles ésormais, vous savez que l’avatar type du joueur de poker est un jeune homme de 33 ans pour plus précisions rdv ici.  Les joueurs de poker de 18-24 ans représente + de 22% d’échantillon. Les jeunes générations sont plus réceptives à ces messages en omettant les difficultés pour y arriver et se maintenir au haut niveau. 

Ce potentiel de gains financiers attire des personnes de tous horizons, espérant transformer une petite mise en une fortune. Les tournois de poker, en ligne et en direct, offrent des prix qui peuvent atteindre des milliers d’euros. Cette promesse de richesse rapide crée une forte motivation pour continuer à jouer et s’améliorer. Pour beaucoup, le poker représente non seulement un jeu, mais aussi une opportunité de réaliser des rêves financiers.

3 -Quand le poker prend le contrôle de notre cerveau

Le poker impacte profondément notre cerveau en exploitant ses mécanismes de récompense et de prise de décision. Les fluctuations rapides entre espoir et déception sont un véritable ascenseur émotionnel qui challenge notre paix intérieure.

1 – L’illusion de contrôle : les joueurs peuvent croire qu’ils contrôlent entièrement le jeu grâce à leurs compétences et décisions stratégiques.  les fausses croyances se développent facilement dans un contexte ou hasard et compétences évoluent ensemble. Prenons le cas d’un débutant qui va remporter 3 000 € lors de ses premières session va avoir tendance à surévaluer ces compétences par rapport au field. Les joueurs peuvent prendre du temps avant de se rendre compte de leur vrai niveau et ainsi écumer quelques déboires economiques. Il n’est pas rare de voir des pertes conséquentes juste après un gros gain. Toute la difficulté du poker réside dans la compléxité à évaluer son véritable niveau, ils sont rares les joueurs qui font appel à un joueur plus compétent pour revoir à froid leur session et les décisions prises. Cette illusion de compétence rend le jeu à la fois fascinant et frustrant alimentant l’engagement et peut conduire à une pratique excessive. 

2 -La perte de contrôle chemin vers le jeu excessif ?  Pour étayer cette partie je vais reprendre le texte l’analyse de Servane Barrault & Isabelle Varescon dans »Le poker : pratiques normales et pathologiques » datant de 2015: « En 2010, Bjerg suggère ainsi qu’au poker, la perte de contrôle a lieu à deux niveaux : l’un interne (ex. : stratégie de jeu, autocontrôle) et l’autre externe (ex. : les montants joués, la fréquence de jeu). La perte de contrôle interne se rapporte à un phénomène bien connu des joueurs de poker, appelé le tilt. Le tilt, qui peut se définir comme un processus de perte de contrôle durant le jeu, est le plus fréquemment occasionné par l’accumulation de pertes, ou d’évènement statistiquement improbables au cours du jeu, vécus par le joueur comme injustes (Palomäki, Laakasuo et Salmela, 2013). Ces événements occasionnent chez le joueur un débordement d’émotions négatives (affects dépressifs, anxieux, colère, frustration…), amenant la détérioration du processus de prise de décision. Décrit par les joueurs comme inhérent au jeu lui-même, le tilt ne semble pourtant pas sans liens avec les problèmes de jeu. Dès 1989, Browne explique en effet que tous les joueurs de poker expérimentent le tilt mais que les joueurs pathologiques ont moins de capacités à retrouver le contrôle après une situation induisant le tilt. Ils se distingueraient donc par la durée et la fréquence du tilt. Ce lien entre tilt et jeu excessif a également été mis en évidence dans une étude qualitative (Barrault et al., 2014) : les joueurs non pathologiques tendent à rapporter des stratégies pour éviter le tilt (par exemple faire une pause ou arrêter de jouer), contrairement aux joueurs excessifs qui rapportent des épisodes de tilt fréquents et intenses« .  Pour lire l’analyse complète rendez-vous ici.

3 – Comment le poker stimule la libération de dopamine : L’envie de jouer au poker s’explique en partie parce que ce jeu procure une satisfaction immédiate. Notre cerveau y est très sensible, car il renferme des circuits nerveux dont le rôle est de récompenser nos fonctions. Il libère une substance qui va procurer du plaisir : la dopamine. Lors des gains ou des moments d’excitation intense, des pics de dopamine sont libérés, procurant un sentiment de plaisir et de satisfaction. Ce mécanisme renforce le désir de revivre ces sensations, poussant les joueurs à jouer de manière répétée. Le poker est bien plus qu’un simple jeu de cartes : il agit comme un puissant stimulant pour le système nerveux. Chaque main jouée déclenche une série de réponses physiologiques et émotionnelles. L’excitation monte lorsque les cartes sont distribuées, augmentant la fréquence cardiaque et libérant des hormones du stress comme l’adrénaline. Pendant les phases critiques du jeu à la bulle ou en table finale, l’attention et la concentration atteignent leur apogée, sollicitant intensément le cerveau. Le poker n’est pas seulement un défi intellectuel, mais aussi une expérience émotionnelle intense, oscillant entre l’euphorie de la victoire et la frustration de la défaite. Cette stimulation constante du système nerveux peut conduire à une dépendance, où les joueurs recherchent régulièrement cette montée d’adrénaline et l’engagement profond qu’elle procure.

4 - Les facteurs à risque de l' Addiction au poker

L’addiction au poker peut toucher toutes les personnes,mais semble que certains traits de caractère ou de genre peuvent influence le développement et le maintient du jeu pathologique. 

Des études montrent des différences significatives entre les genres. Les hommes sont plus souvent concernés, représentant environ 70-80% des joueurs pathologiques. 

L’impulsivité et la recherche de sensations sont deux traits de personnalité impliqués dans la pratique du poker, mais ils semblent avoir des rôles distincts : la recherche de sensations favoriserait l’intérêt pour le poker, tandis que l’impulsivité contribuerait à l’établissement et au maintien de comportements excessifs.

Certains facteurs de risques probables d’un problème de jeu au poker semblent donc se dégager de la littérature : la présence d’états émotionnels négatifs (anxiété, stress et dépression), le temps passé à jouer, la dissociation ressentie durant le jeu, l’impulsivité et le fait de mentir sur son genre.

 

Pour conclure ...

Le poker live ou en ligne online, offre une expérience de jeu inédite avec des implications différentes pour les joueurs. Le poker live, avec ses interactions sociales et son rythme plus lent, semble moins propice aux comportements excessifs. En revanche, le poker online, disponible en permanence, permettant le multi-tabling, offrant des parties rapides, des formats attrayants est un terrain facilitant pour le développement et le maintien du jeu excessif.  Bien que le poker live soit captivant, il reste moins problématique que le poker online.

Le poker online avec son accessibilité exacerbe les comportements impulsifs grâce à sa disponibilité permanente. Les opérateurs travaillent d’arrache pied pour rendre leurs offres irrésistible grâce à leurs formats divertissants. Cette décennie, a vu naître de véritables icônes. La glorification du statut de joueur professionnel a cultivé l’imaginaire de toute une génération, il est désormais acceptable de faire une carrière dans ce domaine.

Dans ce contexte decomplexé vis à vis du poker, on peut se demander avec les tendances de demain, la gamification des offres, l’introduction de fonctionnalités immersives, une tendance tournée vers le jeu rapide, une stratégie marketing qui utilise les événenements sportifs pour drainer une nouvelle population, quelles seront les implications sur les comportements des joueurs et notamment les plus jeunes  ?  Est-ce que l’ANJ (organisme de régulation) a les armes pour contrôler les offres et leurs impactent auprès des joueurs avant d’être deployées ?

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