Décryptage : La France, est-elle une nation de gamers ? Les jeux vidéo servent-ils de nouvelle porte d’entrée pour les jeux d’argent ? Quels mécanismes de gambling peut-on retrouver dans les jeux vidéo ? Comment influencent-ils le comportement des joueurs ?
Par Thibault R , publié le Vendredi 9 août 2024 à 20h40
D’après les dernières estimations, le nombre de joueurs français a atteint 39,1 millions en 2023, ce qui signifie que 7 Français sur 10 s’adonnent au moins occasionnellement aux jeux vidéo. 54 % d’entre eux y jouent au moins une fois par semaine. Tout le monde est concerné : enfants, parents, femmes, grands-parents, les jeux vidéo s’ancrent de plus en plus comme un divertissement populaire de premier ordre.
L’industrie des jeux vidéo évolue très vite. A l’heure des jeux gratuits, dont le premier canal d’utilisation est le smartphone dans 43% des cas, les éditeurs s’adaptent à l’évolution des usages. Fini l’acquisition du jeu à l’unité ; place aux jeux gratuits dits “free-to-play” ou encore “pay-to-win”, que l’on retrouve principalement sur nos smartphones. Ces jeux avec ce modèle économique prennent une place de plus en plus importante à l’image de Candy Crush et Clash of Clan qui sont devenus des succès mondiaux en quelques années.
1 - Une nouvelle monétisation des jeux gratuits !
Les jeux gratuits ne datent pas d’hier, ils ont envahi l’espace web depuis une quinzaine d’années avec l’apparition des nouveaux moyens de communication tels que Facebook, le smartphone, l’application indique simplement téléchargement gratuits. Qu’est ce qui distingue le free to play (F2P) et le pay to win ?
Le free-to-play (F2P) : c’est un jeu téléchargeable gratuitement en ligne dont le joueur peut profiter à volonté du jeu. Les microtransactions font bien partie du jeu mais elles sont destinées à l’achat de produits cosmétiques (l’apparence de l’avatar), ceci n’altère pas la compétition avec ceux qui vont payer pour aller plus vite tels que Fortnite,
Le pay-to-win (P2W) : payer pour gagner, c’est un jeu téléchargeable gratuitement également mais dont le contenu des achats est plus susceptible de déséquilibrer l’expérience de jeu et la compétition entre les joueurs. Les achats donnent des avantages significatifs par rapport à ceux qui ne dépensent pas d’argent. Cependant il y a aussi des jeux qui ne sont pas pay to win mais qui empruntent des similarité ; ils sont partiellement “pay to win”. On peut prendre l’exemple de Clash Of Clan avec l’achat de gemmes permettant d’accélérer la construction des bâtiments, les entraînements des troupes et la recherche de nouvelles technologies. Tout est possible gratuitement seulement le chemin pour y parvenir demande du temps et de la régularité pour un joueur désirant ne pas payer.
La monétisation des jeux gratuits prend diverses formes : microtansactions pour progresser plus vite, précommande à l’achat d’un jeu plusieurs mois avant sa sortie, ou encore des mises à jour payantes donnant accès à de nouvelles cartes, de nouveaux accessoires ; ce sont des « SEASON PASS » ou « DLC ». Et puis dernièrement, on a vu l’apparition des loot boxes (coffre à butin) avec des récompenses aléatoires. Toutes les monétisation peuvent poser problème si elles suscitent des dépenses excessives ou sont sources de nuisance pour le joueur.
L’émergence des jeux intégrant des éléments de paris ou des récompenses aléatoires (loot boxes). La frontière entre gaming et gambling devient de plus en plus floue, cette convergence soulève des questions cruciales sur les comportements des joueurs et les implications potentielles sur la régulation et la protection des consommateurs.
2 - La gamblification des jeux vidéo !
Les mécanismes de gambling dans les jeux vidéo prennent plusieurs formes, chacune apportant des dynamiques spécifiques qui peuvent influencer le comportement des joueurs.
- Les loot boxes ou encore les coffres à butin : Il s’agit de boîtes virtuelles contenant des objets aléatoires (vêtements, des émoticônes spécifiques, des danses) souvent obtenus contre de l’argent réel. La nature aléatoire de leur contenu rappelle celle des machines à sous, créant un suspense et une excitation comparables. Les jeux comme Fortnite, Counter-Strike, Fifa, Apex proposent ce mécanisme de gains afin de faire évoluer son personnage principal. Les jeux de cartes à collectionner en ligne, comme Hearthstone, intègrent également des éléments de gambling, où les joueurs achètent des paquets de cartes sans savoir exactement ce qu’ils contiendront .
- Les paris e-sport sont devenus populaires, permettant aux joueurs de parier sur des résultats de compétitions de jeux vidéo. Il est possible pour les opérateurs de proposer des paris sur des compétitions esport (counter-strike, vallorant, Rainbow, Call of Duty,etc…
- Les jeux de casino simulés dans les jeux vidéo : intégrés dans des jeux plus vastes, offrent des expériences de jeu similaires aux casinos réels, avec des roulettes, du blackjack et des machines à sous virtuelles. Par exemple, dans GTA V, un casino a ouvert en 2019, on peut gagner ou perdre de l’argent du jeu. Il est possible d’acheter avec de la vraie monnaie, de l’argent vituel et de jouer cet argent au casino. Ou encore Red Dead Redemption II ou il est possible de jouer au poker ou au black jack sans message d’avertissement.
- Les jeux de casinos sans argent : on trouve énormement d’applications gratuites mobiles et PC permettent de jouer aux de casino poker, blackjack, roulette, machine à sous gratuitement. Souvent le risque quand les joueurs ont appris les régles, ils sont tentés de miser de l’argent réel. Ces jeux gratuits sont donc un moyen pour attirer les joueurs pourqu’ils deviennent des futurs clients.
L’intégration de ces formes de gambling dans les jeux vidéo incite silencieusement les jeune à se familiariser avec les jeux d’argent.
3 - Les controverses autour des Loot Boxes
Photo provenant du site CRAIYON Free IA Image
Le développement des loot boxes dans les jeux vidéo est un phénomène croissant et récent. D’après une étude menée par Juniper Research, les éditeurs ont engrangé en 2020, plus de 14,25 milliards d’euros, soit 10% de leur chiffre d’affaire grâce aux loot boxes.
Il s’agirait du studio Valve en 2010 qui serait l’un des précurseurs, en décidant de convertir le jeu Team Fortress 2 en free to play avec un système de boîtes cadenassées pour financer le jeu permettant aux joueurs de customiser l’apparence de leur avatar. Toute une industrie, ça a commencé à adopter ce modèle de monétisation.
C’est en 2017 qu’un jeu fait polémique ; il s’agit de Star Wars : Battlefront II (EA). Lors de sa parution en novembre 2017, le jeu a suscité la colère des gamers en raison de son système de progression, les loot boxes à acquérir pour augmenter ses chances. Concrètement : Après chaque partie, un joueur gagne des crédits pour acheter des loot boxes offrant divers bonus utiles exemples des armes améliorées ou une récupération de santé plus rapide. Le jeu a été conçu pour susciter de la frustrations ainsi les joueurs doivent choisir entre attendre ou payer pour accéder immédiatement aux loot boxes. La puissance des joueurs sur le champ de bataille dépend davantage de leur compte en banque que de leur talent. Face au tollé public, Electronic Arts a du suspendrele jeu et ce principe de microtransaction.
A la suite de cette polémique plusieurs entités gouvernementales questionnent le fait de savoir si la loot box se rattache au jeux d’hasard et d’argent et donc si celui-ci doit être régulé. Ainsi en Belgique en avril 2018, le ministre de la justice déclare que ces coffres à butin enfreignent la législation belge et donc l’interdise. Les Pays-Bas s’aligne en mentionnant que les loots boxes enfreignent la loi néerlandaise.
En France, qu’en est-il ? En 2017, Charles Coppolani, alors président de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (remplacée depuis par l’Agence nationale des enjeux, ANJ), s’inquiétait des risques « très proches de ceux qui caractérisent l’addiction aux jeux d’argent », mais aucune mesure n’a été prise. Pour être qualifié de jeu de hasard, il faut cumuler trois critères selon le code de sécurité intérieure :
- Un sacrifice financier
- Une offre publique
- La présence du hasard
- L’espérance d’un gain
Il s’agit du dernier point n’étant pas rempli. Les loot boxes en France ne sont pas encadrées par la loi régulant les jeux de hasard et d’argent (JHA). La gestion des loot boxes s’inscrit donc dans une démarche d’autorégulation.
4 - Troubles du jeu et achats de Loot Boxes!
Un graphique qui illustre parfaitement la forte utilisation des jeux vidéo par les adolescents et les jeunes adultes (16-28 ans).
Des études nous disent que 5% des joueurs cumulent la moitié des revenus du marché (Close et al en 2021). En 2019, il semble que l’achat des loot boxes favorise la pratique des jeux d’hasard et d’argent chez les jeunes de 16 à 18 ans.
- La moitié des études montrent un lien entre l’utilisation à risque du jeu vidéo et achat de loot boxe (Yokomitsu et al 2021).
- Les adolescents et jeunes adultes (16-24 ans) sont les plus vulnérables au jeu vidéo à risque, et ils dépensent plus d’argent dans les loot boxes (Sanmartin et all, 2021 ; Wardle & Zendle, 2021).
- Les joueurs présentant des symptômes d’un trouble du jeu vidéo en ligne sont plus enclins à acheter des loot boxes.
Conclusion
Le nombre de joueurs en France atteint 39,1 millions, faisant des jeux vidéo un loisir dominant. les nouveaux canaux d’utilisation et les nouvelles formes de monétisation e le marché, avec des mécanismes de monétisation comme les loot boxes, qui brouillent la frontière entre gaming et gambling. Ces éléments de hasard rappellent les jeux d’argent (machines à sous) et influencent fortement les jeunes joueurs particulièrement, rendant les adolescents vulnérables aux risques associés, ce qui soulève des préoccupations concernant la régulation et la protection des consommateurs. Aujourd’hui la France et l’Europe se semble pas se soucier de l’usage des loot boxes par les éditeurs pour le moment.