Décryptage : la privatisation de la FDJ, actée sous Macron en 2018, bouleverse un actionnariat dominé par l’État depuis des décennies. Quelles sont les conséquences de ce tournant historique pour une institution créée en 1933 ?
La FDJ créée en 1933, avait pour but de venir en aide aux gueules cassées de la première guerre mondiale et calamité agricole. Historiquement, ce sont les associations d’anciens combattants qui étaient les premiers actionnaires, mais l’Etat a pris progressivement la main sur la loterie, en montant à 51 % du capital en 1979, puis 72 % en 1989. Le 4 octobre 2018, l’assemblée nationale a autorisé la privatisation de la FDJ. Une annonce qui vient chambouler la composition de l’actionnariat qui était constitué de l’Etat à 72 %, de 9,2 % des unions des blessés de la face et de la tête “gueule cassée”, de 5% des salariés, et à hauteur de 13,8 % d’autres entités selon le rapport d’activité de 2016. Il a été annoncé que l’état français qui possédait 72% de part de la FDJ a décidé de céder 52 %.
La privatisation de la FDJ a été envisagée à plusieurs reprises mais c’est sous le quinquennat de Macron que le projet va aboutir. Il avait été envisagé sous Sarkozy en 2009 lors de la libération du marché de jeux en ligne mais le président de l’époque avait été suspecté de privatiser le secteur au profit de ces amis comme Stéphane Courbit qui possède Betclic notamment. En 2014, le dossier a surgi à nouveau avec son ministre de l’économie Emmanuel Macron. Mais de nouveau le dossier avait été mis de côté en raison de l’hostilité de Christian Eckert alors secrétaire d’Etat au budget et tutelle directe de l’entreprise.
Il dira sur son blog : « ce fut, en toute modestie, une de mes satisfactions pendant ces trois années à Bercy, autoriser la privatisation de la FDJ rapporterait en une seule fois une recette exceptionnelle de quelques centaines de million, mais priverait l’Etat de sa capacité à imposer toutes les règles de prévention à l’addiction, de lutte contre le blanchiment, d’interdiction de jeu pour les mineurs. »
1) la privatisation de la FDJ, avant tout un succès populaire ?
Tous les chiffres montrent que la FDJ est bel et bien l’acteur majeur des jeux d’argent en France qui s’accroît par une volonté de diversification de son offre de jeu. Et pourtant l’état envisage dès 2017 de privatiser l’opérateur de jeux le plus important de France. La FDJ contribue aux finances publiques à hauteur de 1% du budget de l’État. Pourtant le gouvernement va la privatiser. Le processus de privatisation de la FDJ a été enclenché le 7 novembre 2019 et a connu sa première journée de cotation le 21 novembre 2019 à la bourse de Paris. Cette privatisation d’un groupe public est la première du quinquennat d’Emmanuel Macron et la première depuis celle de EDF en 2005.
A ceux qui dénoncent une vente pénalisante pour les finances publiques. Oui en effet, il perdra une grande partie des dividendes 90 millions en 2017 mais continuera à percevoir 3,5 milliards d’euros de recettes fiscales et sociales par an. Une source pécuniaire gonflera si l’entreprise accroît ses résultats. La vente des 52% des parts de l’État participe au désendettement de la France et à alimenter un fond public pour relancer la France dans la course aux technologies. L’Etat va ainsi récupérer 2,1 milliards d’euros plus 380 millions d’euros pour l’obtention du monopole pour exercer la loterie durant les 25 prochaines années. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances « souhaite que cette privatisation soit un succès populaire et que le plus grand nombre y participe ». Les ordres d’achat de 500 000 petits épargnants ont dépassé 1,6 milliards avec un plafond de 2000 euros pour les particuliers et de 7500 € pour les buralistes. La FDJ est une valeur refuge de part son histoire et sa croissance constante au fil des années. Certains le voient comme un succès populaire permettant à de petits épargnants de capitaliser sur une entreprise florissante. La récente entrée en bourse et la ruée sur les actions peuvent être perçus comme le salaire du vice, pour ces investisseurs il s’agit d’un gain plus sûr que s’il avait été joué.
Le désengagement de l’état questionne sur le traitement du jeu pathologique par la FDJ ? Comment vont-ils opérer enjeu social et croissance économique inhérents à une entreprise. Est ce que la nouvelle entité va être capable de contenir les envies, les agissements de ce géant. Pour satisfaire les actionnaires, les entreprises sont souvent obligées de poursuivre des stratégies de profits à court terme plutôt qu’à long terme
2 - L’Etat perd-il la main sur les règles de prévention de l’addiction avec la privatisation de la FDJ?
Est-ce que les craintes de Christian Decker sont avérées avec la privatisation de la FDJ ? N’y a t-il que des aspects positifs à cette vente, il semble que cela va profiter aux petits actionnaires car l’industrie du jeu est en plein essor et soutenue par les états donc peu de chance que ce segment ralentisse. Mais pour le reste des français, est-ce que l’état avec la création de l’ANJ va pouvoir faire respecter ses mesures en faveur de la prévention de l’addiction de la même manière ?
Avec la privatisation de la FDJ, comment une entreprise privée peut-elle concilier un objectif de profitabilité et de prévention du jeu ? On s’aperçoit que ce sont des objectifs distincts et qu’il est impossible pour une société de porter cette responsabilité seule. L’état avait perçu ce problème et a donc œuvré pour le création de l’Agence nationale des jeux (ANJ) qui prend le relais le relais de l’ARJEL avec des responsabilités étendues. L’ARJEL avait été créée pour réguler le jeu online suite à l’ouverture du marché en 2010. l’ANJ est maintenant compétente sur toutes les composantes du marché des jeux d’argents : les jeux en ligne (paris hippiques, sportifs, poker), les anciens monopoles publics (la FDJ, le PMU), les 228 hippodromes. Les casinos restent sous la tutelle du ministère de l’intérieur et des finances. A titre de comparaison l’ARJEL régule 11% du secteur et désormais l’ANJ en régule 78%.
Outre des responsabilités étendues, quel est le pouvoir réel de cet organisme auprès des différents opérateurs ? l’ANJ a autorité pour opérer sur les segments suivants : elle délivre les licences, régule, supervise toutes les formes de jeux, protège les joueurs, lutte contre la fraude et le blanchiment d’argent, fait la promotion du jeu responsable et sanctionne les opérateurs qui ne respectent pas les règles. En tout cas, ce sont les objectifs qui lui sont attribués. Chaque année, les opérateurs des jeux d’argent en concurrence ou sous monopole soumettent à l’approbation de l’ANJ leurs stratégies promotionnelles. Celui-ci l’évalue au regard des objectifs de la politique de l’Etat en matière des jeux d’argent et de hasard et plus spécifiquement en matière de prévention du jeu excessif. En 2022, l’ANJ a invité la FDJ a revoir son programme promotionnel pour l’année 2023 car la politique commerciale était considérée comme trop expansionniste. En juillet 2022, l’ANJ a approuvé le programme des jeux de la FDJ mais avec des conditions strictes. La nature même de la FDJ pousse les frontières établies pour remplir ces objectifs de rentabilité.
Un jeu de chat et de la souris est né entre les opérateurs et l’organisme de régulation. De toute évidence, la situation se porte bien pour les opérateurs et la FDJ en particulier, pour cela il suffit de regarder en détail l’état financier de ces sociétés.
3 - LA FDJ une volonté féroce de croître
La FDJ est le leader des jeux d’argent en France et les chiffres viennent conforter cette analyse. En 2020, le total des mises était de l’ordre 15,9 milliards, en 2021, il est passé à 18,9 milliards pour atteindre en 2022, un montant record de 20,5 milliards soit une hausse de 8,8% entre 2021 et 2022. Pour étayer davantage les résultats de la FDJ voici quelques chiffres supplémentaires : 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires, plus de 25 millions de joueurs en 2022. En 2019, le produit brut des jeux (PBJ = mises – les redistributions) de la FDJ était de 5,5 millions d’€ et en 2022, il était de 6,5 millions soit une augmentation de plus de 17 %. Au global, les jeux d’argent pèsent pour 12,9 millions d’€, la FDJ possède plus de 50% du résultat. L’influence de cette société est colossale et son impact social également. L’année 2022 est une année record pour l’opérateur privatisé il y a 4 ans. La FDJ se taille plus de 50 % de part du marché des jeux d’argent et de hasard grâce à son offre présente dans plus de 30 000 points de vente et une stratégie de diversification. La loterie reste la pierre angulaire de l’offre car elle pèse pour plus de 85 % des résultats de la Française des Jeux.
Cette croissance repose sur l’ensemble des activités de l’opérateur mais ce qui tire la croissance reste les jeux de tirage traditionnels comme le LOTO ou EUROMILLIONS qui ont connu un nombre important de jackpots élevés et une activité commerciale très forte des jeux de grattage.
La FDJ propose un nombre exponentiel de jeux de grattage sous l’ombrelle Illiko. : ainsi on retrouve toutes sortes de jeux. De plus, la FDJ peut s’appuyer sur un réseau physique avec des jeux dont elle a le monopole et développer ses activités dans les jeux soumis à concurrence. En 2022, les dépenses marketing et en communication par la FDJ ont augmenté de 11% par rapport à l’année précédente pour atteindre 426 millions d’euros.
En juillet 2023, le groupe français annonce la signature d’un accord pour l’acquisition de Premier Lotteries Ireland (PLI). La FDJ va acquérir la totalité du capital de l’entreprisee pour 350 millions d’euros. En septembre 2023, la FDJ rachète Zeturf pour 175 millions d’euros, ce groupe est le deuxième opérateur du marché français des paris hippiques en ligne avec 20 % de part de marché derrière PMU. Zeturf propose aussi des paris sportifs sous la marque Zebet. Cette acquisition va permettre à la FDJ de s’ouvrir à l’international par les activités aux pays-bas, en Belgique, en Espagne. En France, La FDJ avec cette acquisition devient le 4éme acteur des jeux d’argent en ligne avec une part de marché 10%. Ce rachat montre bien la volonté du groupe à intensifier sa présence sur le marché des jeux en ligne.La volonté de la FDJ n’est pas uniquement de renforcer sa présence sur le marché français mais belle et bien de s’attaquer à l’international ça ne fait plus aucun doute à la suite de son annonce le 22 janvier 2024 d’une offre publique d’achat (OPA) sur la société Kindred pour une valeur de 2,6 Milliards d’euros. Kindred est le n°1 sur le marché Neerlandais , n°3 en Belgique et en suède, n°5 en France et n°6 au Royaume-Unis. Cette acquisition donnera naissance à un champion européen.
La conclusion
Avec ce rachat on peut se poser des questions sur les problèmes concurrentiels résultant de la concentration au sein d’une même entité des activités de monopole de la FDJ liées à la distribution des jeux et paris et des activités de Zeturf sur les marchés des paris hippiques et sportifs en ligne”. Entre développement de son offre actuelle, consolidation de sa place sur le marché des jeux d’argent en France et une volonté de s’attaquer au marché européen par des acquisitions. La FDJ est en passe de devenir un monstre européen des jeux d’argent de hasard.
Il est clair que maintenant que l’état n’a plus la majorité des parts, la FDJ a les mains libres pour développer son offre. La privatisation de la FDJ rend moins responsable l’ETAT pour les activités commerciales qui y sont développées et permet ainsi à la FDJ de se développer sans un actionnaire qui le contient car les jeux d’argent et de hasard ne sont pas une activité commerciale comme les autres, il y a des enjeux sociaux derrière. L’organisme ANJ semble être une institution qui manque de pouvoir et d’efficacité pour être considérée comme efficace malgré les quelques décisions prises.
Bravo, quel travail de recherche !